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Les mesures de lutte contre la pandémie décrétées par le Conseil fédéral les 13 et 16 mars 2020 ne sont pas sans interroger les rapports entre locataires et bailleurs. [caption id="attachment_12085" align="aligncenter" width="1500"]Image retirée. @Jehan Khodel[/caption] Ci-après, quelques questions fréquentes posées aux permanences (désormais téléphoniques) de l’ASLOCA Genève, avec des tentatives de réponses. La situation actuelle étant heureusement sans précédent, ce qui suit n’a aucune prétention à l’exhaustivité et ne peut être pris comme parole d’évangile, vu l’absence de jurisprudence en la matière.
Obligation de payer le loyer des locataires commerciaux
Savoir si le locataire commerçant est tenu au paiement du loyer est la question la plus récurrente mais aussi la plus brûlante et épineuse. Les milieux immobiliers se sont empressés de soutenir par la voix de leurs représentants que l’obligation de payer le loyer demeurait de mise, notamment pour les locataires commerciaux1, la crise actuelle relevant du risque d’entreprise qu’il appartient au locataire commerçant d’assumer. Le Conseil d’Etat genevois et les milieux immobiliers ont d’ailleurs convenu d’un Protocole d’accord le 19 mars 2020, qui présume pareille obligation et ne prévoit pour toute solution que l’engagement informel des partenaires immobiliers à envisager, selon les cas, un échelonnement de la dette de loyer et à aiguiller les locataires commerciaux vers un fonds d’aide aux entreprises. Sans garantie. Ni partage des risques. Des voix dissidentes se sont élevées, d’abord en Suisse alémanique, parmi lesquelles d’ailleurs des avocats proches des milieux immobiliers2. Les mesures prises par le Conseil fédéral (CF) visant la protection de la santé de l’ensemble de la population, il est inéquitable que les pertes économiques qui y sont liées soient attribuées aux locataires seuls. Il est ainsi soutenable que l’interdiction faite d’exploiter certains commerces ouvre droit à une limitation de l’obligation de payer le loyer3. Les commerçants sont appelés toutefois à la prudence: il leur appartient de contacter leur bailleur pour discuter d’une solution taillée sur mesure et tenant compte de l’économie du contrat conclu en l’espèce ainsi que des difficultés économiques de part et d’autre. Les arguments juridiques n’étant pas éprouvés devant les tribunaux, une renégociation des conditions de loyer provisoire est à préférer à un procès. Une «autoréduction du loyer» sans autre communication au bailleur doit en tous les cas être proscrite.
Retard dans la remise des locaux
Si le bailleur est en retard dans la remise des locaux il tombe en demeure, certes sans sa faute si cela est lié à des problèmes dans la «chaîne de livraison» induits par les mesures du CF. Le locataire peut lui fixer un délai convenable pour délivrer la chose et, à défaut d’exécution dans le délai, il peut alternativement demander l’exécution du contrat et des dommages-intérêts (frais d’hôtel par exemple) ou, selon diverses modalités, renoncer à l’objet et demander des dommages-intérêts. Un conseil juridique est recommandé en pareils cas, avant toute action, vu la complexité de certaines règles en la matière.
Obligation de tolérer des visites en vue de la relocation ou de travaux
Le locataire doit en principe tolérer ces visites (art. 257h CO). Mais, vu le contexte actuel, il peut exiger le respect des règles posées par l’OFSP (limitation du nombre de personnes, une seule à la fois en plus de la régie, et distance de sécurité de deux mètres). Les cas particuliers de personnes à risque doivent être réservés, car il leur est recommandé d’éviter tout contact. On ne peut évidemment exiger de quiconque qu’il mette sa vie en péril pour favoriser la visite des locaux. Le locataire prudent contactera la régie pour discuter de solutions pragmatiques, étant précisé qu’il n’est pas tenu de transmettre de certificats médicaux, protection des données personnelles oblige, mais qu’en cas litige aboutissant à un procès un juge pourrait les solliciter. Là encore, la communication des parties dans le respect des règles de la bonne foi doit être préférée à toute lecture juridique intransigeante.
Déménagements
A l’heure où est rédigé cet article les déménagements ne sont pas proscrits et les entreprises de déménagement pas visées par l’ordonnance du CF du 13 mars 2020 limitant certaines activités. Si un locataire ne peut déménager avec l’aide d’amis, car ceux-ci craignent une contamination, il lui appartient de minimiser son dommage en trouvant une entreprise ou une association pouvant s’en charger. Il ne peut sans autre prétendre se départir du contrat nouvellement signé et révoquer le congé donné pour son logement actuel, en se prévalant de la crise sanitaire en cours. S’il ne peut déménager parce qu’il est contaminé par le virus, il sera en demeure de rendre les locaux actuels et risque de devoir payer un loyer supplémentaire, mais devrait pouvoir soutenir selon nous que c’est sans sa faute, et être libéré de pareille dette. Lorsqu’il libérera les lieux, le bailleur ne pourra pas exiger de lui la prise en charge des frais de désinfection complète du logement: être malade chez soi n’est pas un usage anormal de la chose louée!
Visites chez soi
Le bailleur ne peut interdire des visites de proches du locataire si elles se déroulent dans le respect des règles posées par l’Office fédéral de la santé publique (pas plus de cinq personnes en un lieu donné). Il va de soi que dans la mesure du possible les réunions inutiles de type festif doivent être évitées.

Pierre Stastny

Avocat répondant, ASLOCA Genève

1 avril 2020
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