Une étude de l’Office fédéral du logement décrit un large phénomène d’éviction dans les villes suisses. Des démolitions-rénovations excluent bas revenus et réfugiés.
Un peu avant la pause estivale, l’Office fédéral du logement (OFL) a divulgué une étude réalisée par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) sur l’activité de construction et le phénomène d’éviction dans les grandes agglomérations suisses. Cette étude n’a eu pratiquement aucun écho dans les médias de ce pays. Est-ce un hasard? Elle montre comment les milieux immobiliers – annonceurs importants de ces mêmes médias – maltraitent les locataires les plus faibles sous prétexte d’opérations de démolition-reconstruction ou de rénovations totales prétendument indispensables. Cette étude conforte ce que l’ASLOCA constate depuis plusieurs décennies à ses permanences et qu’elle dénonce avec véhémence: le remplacement, après résiliation des baux pour travaux, des locataires à statut précaire et à bas revenu par des locataires aux moyens nettement supérieurs.
Quitter sa commune à cause des prix
Ce phénomène, qualifié pudiquement d’éviction dans cette étude de l’OFL, n’est autre qu’un violent processus d’exclusion sociale contre lequel les autorités fédérales ne font rien. Les chiffres sont parlants. Entre 2015 et 2020, 1,02% de l’ensemble des locataires de l’agglomération zurichoise a été évincé. Cela semble peu? Cela représente 14 373 locataires qui ont été contraints de quitter leur logement, soit pas moins de 2400 par année! À Genève, où les locataires bénéficient de la protection de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations (LDTR), pendant la même période, le nombre d’évictions a concerné «seulement» 467 locataires, soit 0,08% des locataires de l’agglomération genevoise. C’est une proportion 13 fois plus faible! L’étude menée par l’EPFZ indique que les locataires qui ont été contraints de quitter leur logement trouvent souvent à se reloger dans la même commune. Mais rien ne dit qu’ils trouvent à se reloger dans le même quartier. D’ailleurs, à Genève, ce sont tout de même 29,1% des personnes évincées qui ont dû quitter la commune pour se reloger.
Le rôle protecteur de la LDTR
Le plus grave dans ce processus d’éviction lors des rénovations totales et des démolitions-reconstructions, c’est le remplacement des personnes à faible revenu par des personnes au revenu confortable. Sur la période 2015-2020, le revenu médian des foyers emménageant dans des nouveaux logements après une démolition-reconstruction était, à Genève, de 71% supérieur à celui des locataires précédents (passant de 3 960 francs à 6 185 francs par mois). La différence de revenu atteint même 100% à Bâle (de 4 080 à 8 210 francs par mois). Cette réorganisation sociale du tissu urbain en faveur des classes sociales plus aisées est très présente aussi dans les opérations de rénovations totales. À Bâle, après de tels travaux, le revenu des nouveaux locataires dépasse de 39% celui des anciens. À Genève, cet effet est moins marqué. La différence de revenu médian entre les anciens locataires et les nouveaux s’élève à 17%. Cela montre, une fois encore, les effets positifs de la LDTR.
Discrimination raciale
L’aspect le plus choquant de ces opérations, c’est que ce sont les catégories sociales les plus précaires qui sont les plus touchées par les expulsions. Et en particulier les demandeurs d’asile et les réfugiés reconnus. Ces locataires ont été évincés 3,2 fois plus que l’ensemble de la population. À Zurich, ce chiffre est même de 5,8. L’examen du lieu de naissance des personnes évincées fait ressortir que les personnes nées en Afrique sont nettement plus sujettes à devoir quitter leur logement. À Genève, les personnes d’origine africaine sont touchées 7% de plus que l’ensemble de la population. À Zurich, ce groupe social est expulsé 138% de plus que le reste de la population. Le phénomène d’éviction est donc «socialement stratifié» selon l’étude. En clair: il conduit à l’expulsion des classes sociales les plus faibles économiquement et statutairement pour favoriser les classes sociales les plus aisées.
Carlo Sommaruga,
Président de l'ASLOCA Suisse