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Malgré le cessez-le-feu, le conflit israélopalestinien se poursuit sous des formes moins visibles. Le logement est notamment le théâtre d’une lutte permanente.
Plus de 100 000 Gazaouis ont perdu leur maison dans les dernières attaques israéliennes. Mais, à côté de ces terribles destructions, d’autres mécanismes plus insidieux menacent aussi le droit au logement des Palestiniens.
Interdiction de construire
Dans de larges parties de la Cisjordanie, la population palestinienne manque cruellement de logements. Les terrains libres ne manquent pas, parfois même autour des villages surpeuplés. Mais 60% de la Cisjordanie, dont l’immense majorité des terres constructibles, sont sous contrôle israélien (zone C). Or y obtenir un permis de construire est quasi impossible pour les Palestiniens – plus de 90% des demandes sont rejetées –, lorsque la construction ne leur est pas d’entrée de jeu interdite, pour divers motifs: zone d’exercice militaire, «terre d’Etat», réserve naturelle, proximité de colonies juives, etc. C’est par exemple le cas de 85% de la vallée du Jourdain, où se trouvent pourtant les principales réserves de terres palestiniennes.
Dans l’impossibilité d’obtenir un permis, des milliers de Palestiniens construisent sans autorisation, malgré les risques. Entre 2004 et 2014, plus de 1000 maisons bâties sans permis ont été détruites à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, selon B’Tselem. Des milliers d’autres foyers ont reçu un ordre de démolition.
En Israël même, dans le Negev, les autorités refusent de reconnaître des villages entiers de Bédouins. Regroupant 90 000 personnes établies là depuis des décennies, ces communautés ont été «oubliées» des plans des années 1960. Elles subissent depuis des destructions à répétition et n’ont pas accès à l’eau ni à l’électricité.
A l’inverse, les colonies israéliennes bénéficient, elles, de vastes terrains et d’infrastructures modernes et l’administration ferme les yeux sur leurs maisons sans permis. Derrière l’argument de planification territoriale se cache ainsi une lutte pour le contrôle du territoire, dont la manifestation la plus voyante reste la colonisation.
Grignotage par la colonisation
A Jérusalem-Est par exemple, les Palestiniens se heurtent non seulement au refus de permis de construire, mais aussi à l’accaparement par les colons. Le cas de Silwan, banlieue arabe de Jérusalem-Est, est révélateur de l’implication des autorités israéliennes dans ces transferts de propriété. En plus de l’illégalité des constructions, un autre prétexte est utilisé par des organisations de colons juifs comme Elad pour expulser des familles palestiniennes et accaparer leurs demeures: la loi sur la propriété des absents, qui permet d’exproprier quelqu’un qui était absent en 1948 (1967 pour Jérusalem-Est). De manière discriminatoire, cette loi qui visait à éviter le retour des réfugiés ne s’applique pas aux Juifs, qui peuvent au contraire revendiquer une terre au motif qu’elle était propriété juive avant 1948. Les colonies ne se cantonnent en effet plus aux zones inhabitées, mais prennent pied au coeur des villes palestiniennes, comme à Hebron. L’important dispositif de sécurité qui les entoure, la ségrégation violemment imposée par l’armée et les attaques des colons ont poussé les Palestiniens hors de la vieille ville, transformée en cité fantôme. 42% des appartements et 77% des commerces ont ainsi été abandonnés selon B’Tselem.
La guerre via le logement
Au-delà des argumentations spécifiques à chaque cas, l’enjeu est le même: la prise de contrôle du territoire par une stratégie du fait accompli, qui justifie ensuite l’annexion au-delà des frontières internationalement reconnues de 1967. Côté palestinien également, la pierre sert d’instrument de lutte. Ainsi, les membres du Hebron Rehabilitation Committee rénovent les maisons de la vieille ville, afin d’affirmer son caractère palestinien et barrer la route aux colons.
Résistances communes
Face à cette «guerre du logement», des citoyens israéliens et palestiniens se mobilisent ensemble. Ainsi, dans les quartiers jérusalémites de Sheikh Jarrah et de Silwan, un mouvement non violent rassemblant Juifs et Arabes tente d’empêcher l’expulsion de Palestiniens par des colons. Des ONG israéliennes comme B’Tselem, ICAHD ou Tru’ah dénoncent aussi ces violations du droit au logement, pour que la paix reste possible.
Pour en savoir plus:
www.btselem.org,
www.icahd.org, www.truah.org
C. Grandjean-Jornod Membre Asloca