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Ingrid Hoffmann*, activiste du mouvement des locataires, a répondu à nos questions. A Berlin, les locataires n’en peuvent plus des augmentations incessantes des loyers. En dix ans, ceux-ci ont doublé dans la capitale allemande. En 2017, c’est dans cette ville que le prix de l’immobilier a le plus augmenté en comparaison avec le reste de la planète. De plus, 85% de la population berlinoise est locataire et le montant payé pour le logement représente à peu près 44% du revenu des ménages. Beaucoup sont donc contraints de quitter Berlin. Ainsi, les mouvements de locataires, composés d’associations de voisins, de coopératives, etc. deviennent de plus en plus actifs et sont partis désormais en guerre contre diverses sociétés immobilières. Le groupement «Deutsche Wohnen & Co enteignen» représente les habitants de pas moins de 115 000 logements de la Deutsche Wohnen, grande société immobilière allemande, ainsi que les locataires d’autres propriétaires immobiliers visés également par ce mouvement. Ont également vu le jour récemment les groupements «Akelius & Co enteignen» et «Vonovia & Co enteignen», du nom d’autres sociétés immobilières agissant dans le même registre que la Deutsche Wohnen, à savoir la spéculation sur le dos des locataires berlinois. Au final, les 250 associations de locataires agissent ensemble et ont lancé un référendum ayant pour objectif de socialiser (= exproprier) 250 000 logements berlinois, afin de mettre un terme aux hausses continues des loyers. Les sociétés immobilières visées sont celles qui détiennent plus de 3000 logements dans la capitale allemande. Aide au démarrage Ingrid Hoffmann fait partie des militants du groupement «Deutsche Wohnen & Co enteignen» depuis trois ans. Elle explique ici les actions mises en place afin de lutter contre la hausse des loyers. Ingrid Hoffmann fait partie d’un groupe de travail intitulé «Aide au démarrage», qui a établi une brochure notamment sur les étapes à réaliser pour se rebeller contre les augmentations de loyer. Cette brochure relate les quatre étapes importantes: distribution de flyers (aide fournie par le groupe de travail pour faire un porte-à-porte efficace) invitant les habitants à une assemblée de voisins, puis organisation de l’assemblée, passage à l’action et communication avec la presse. Cette brochure va bientôt être traduite en turc, en russe et en arabe, afin d’être disponible pour une majorité de locataires. Des ateliers mensuels d’une journée sont également organisés, avec des exercices pratiques  et ludiques pour former et motiver les troupes. Ces ateliers sont ouverts à tous les locataires berlinois. Cela permet et a déjà permis de créer un bon réseau. Long processus avant de voter Ces associations de locataires constituées ont décidé de lancer un référendum et ont organisé une manifestation, intitulée le «Mietenwahnsinn» («les loyers fous»), début avril à Berlin. Une manifestation dénonçant les mêmes abus avait déjà eu lieu à la même période de 2018. Pour la première phase du référendum, il fallait 20 000 signatures issues du Land de Berlin. Dès le premier jour, le 6 avril, jour de la manifestation en ville, 15 000 signatures ont été récoltées. Il faut dire qu’ils étaient environ 40 000 à manifester ce jour-là. A mi-juin, 77 001 signatures étaient remises au Gouvernement berlinois, récoltées donc en un tiers du temps à disposition. Début juillet, 58 000 signatures étaient validées. Le ministre de l’Intérieur vérifie la validité juridique du référendum, et ce depuis début juillet. Comme il n’y a pas de délai imposé pour remettre cette décision, cela pourrait durer très longtemps. Les mouvements de locataires savent donc très bien qu’ils doivent faire pression pour accélérer cette étape et obtenir une réponse rapidement. Il faut cependant noter que le service juridique du Parlement national avait constaté en janvier 2019 que ce référendum ne serait pas anticonstitutionnel. Trois experts mandatés par le Sénat berlinois étaient arrivés à la même conclusion. Ce qui est de bon augure pour la suite. Ainsi, si ce référendum obtient le feu vert, ce sont alors 7% des électeurs berlinois qui doivent signer la demande de référendum d’initiative populaire, à savoir 180 000 personnes. Ces signatures devront être récoltées en quatre mois, certainement dès début 2020. Un vote en 2020? Et ensuite? Ensuite, au bout de cette nouvelle étape de récolte de signatures, le vote de la population, enfin! Il faudrait alors le quorum pour valider le vote (25% des électeurs doivent se rendre aux urnes) et obtenir une majorité des voix. Sur la base de cette votation, le gouvernement rédigerait ensuite une loi. Une fois la loi établie, il faudrait décider ce qu’il advient des 240 000 logements repris des mains des grosses sociétés immobilières. Les mouvements de locataires souhaitent voir la création d’une entité de droit public, qui ne devra pas faire de bénéfice, contrairement aux régies immobilières de la Ville. Le mouvement locataire souhaite aussi avoir un représentant au conseil d’administration de cette entité. Le coût de l’opération est estimé par «Deutsche Wohnen & Co enteignen» entre 8 et 12 milliards. Mais les locataires pensent que cette entité de droit public pourrait contracter un crédit normal et l’Etat ne devrait alors mettre sur la table que 20% de ce montant. Mais, évidemment, ce montant dépendra beaucoup de l’indemnisation octroyée aux anciens propriétaires. C’est une donnée inconnue, puisque cela ne s’est jamais fait dans ce sens-là! Tout cela est de la musique d’avenir, car il y a encore beaucoup de pain sur la planche pour les locataires berlinois avant d’arriver à cette réflexion... «Moratoire» de cinq ans Entretemps, juste avant l’été, le Gouvernement berlinois a proposé la mise en place d’un «Mietendeckel» ou une période de cinq ans durant laquelle les loyers ne pourraient pas être augmentés, ce qui devrait permettre aux locataires de souffler un peu. Cette idée émane des sociaux-démocrates, semble-t-il pour éviter l’expropriation. Malheureusement, les partis ont eu beaucoup de mal à se mettre d’accord sur les modalités et le résultat ne sera peut-être pas aussi protecteur que prévu. Ce moratoire ne suffit en tout cas pas aux mouvements de locataires, d’autant plus que ce n’est qu’une solution temporaire, mais elle est bienvenue quand même puisqu’elle permettrait un gel des loyers durant toute la procédure d’expropriation, en cas de succès du référendum. La mobilisation continue La dernière manifestation a été organisée le 3 octobre et a réuni 4000 personnes sous la pluie, au début des vacances scolaires,  pour demander que le couvercle «Mietendeckel» ne devienne pas une passoire suite aux discussions entre les différents partis, certains voulant offrir de nombreuses exceptions aux propriétaires immobiliers dont ils ont peur. Les locataires continuent donc la lutte, en attendant de connaître la décision du ministre de l’Intérieur. La Berliner Mieterverein, la plus grande association des locataires de Berlin (qui compte 170 000 membres), soutient évidemment le mouvement.  A noter que La Gauche et les Verts soutiennent le référendum demandant l’expropriation, tandis que les sociaux-démocrates rejettent cette idée. La décision de principe sur le «Mietendeckel» est tombée le 22 octobre, date à laquelle le Sénat de la Ville l’a adoptée. Ce plafonnement des loyers devrait entrer en vigueur courant 2020. * Nom d’emprunt Socialisation Les initiants du référendum s’appuient sur l’article 15 de la loi fondamentale de la République d’Allemagne, qui stipule que «le sol et les terres, les ressources naturelles et les moyens de production peuvent être placés, aux fins de socialisation, sous un régime de propriété collective ou d’autres formes de gestion collective par une loi qui fixe le mode et la mesure de l’indemnisation». On devrait donc parler de socialisation et non pas d’expropriation, même si le second terme est plus clair et donc beaucoup utilisé dans les médias.
7 janvier 2020
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