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Passionné par les phénomènes liés à la lumière, Libero Zuppiroli, physicien, professeur à l’EPFL, nous parle de sa vision de l’éclairage. Interview
Autrefois une simple ampoule suffi sait à éclairer une pièce. Aujourd’hui nous avons besoin de toujours plus de lampes dans nos logements pour créer une ambiance. Comment expliquez-vous l’évolution de cette tendance?
Libero Zuppiroli. La vie contemporaine est plus intense qu’autrefois, hyperactive et parfois stressée. Dans ce contexte, la lumière n’apparaît plus comme simple moyen d’éclairage, mais on lui reconnaît la capacité d’agir sur le moral. D’ailleurs, dans ces dernières décennies, la science a accentué le fait que toutes les lumières n’agissent pas sur l’humain de la même manière: certaines ambiances lumineuses mobilisent les énergies alors que d’autres préparent au sommeil.
Techniquement, comment la lumière a-t-elle évolué au fil du temps? Depuis la préhistoire la plus lointaine jusqu’au milieu du XXe siècle, l’homme n’a connu que des lumières, dites thermiques, émises par des objets portés à haute température, le soleil en premier lieu, plus tard le feu, la chandelle et enfin la lampe à incandescence. Il faut voir les lumières émises par ces sources comme des cocktails de lumières colorées de différentes compositions qui se mélangent dans notre œil et sont interprétées par notre cerveau comme différentes nuances de blanc: blanc froid du soleil et blanc chaud de la lampe halogène par exemple. On leur associe ce que l’on appelle une température de couleur, qui n’est autre ici que la température de la source qui les produit. Ce n’est qu’à partir du milieu du siècle dernier (XXe siècle) que sont apparues massivement d’autres sources beaucoup plus économes: tout d’abord les tubes fluorescents, couramment appelés néons, puis les LED. A priori les cocktails lumineux produits par ces nouvelles sources fluorescentes diffèrent radicalement par leur composition de ceux des lumières thermiques auxquels les organismes vivants sont habitués. Du coup, de tels dispositifs fluorescents – tubes ou LED – peuvent aussi produire des lumières glauques ou blafardes, qui, à l’instar d’un ciel gris d’hiver, mettent facilement de mauvaise humeur. Heureusement les fabricants de lampes – aujourd’hui essentiellement basés en Chine – ont peu à peu appris à perfectionner les recettes de ces cocktails lumineux fluorescents pour approcher d’assez près les effets des sources thermiques. Ils savent dorénavant fabriquer des LED d’une très haute qualité visuelle, que l’on ne trouve malheureusement pas toujours dans nos magasins.
Doit-on préférer en toutes circonstances la lumière du soleil à toute autre lumière artificielle? Dans une publicité récente, une assurance maladie recommandait une lampe de bureau dont la LED était censée reproduire la lumière froide du jour. La publicité arguait du dynamisme et de l’énergie au travail que pouvait conférer cette lumière. Ce n’est pourtant pas une bonne idée de s’éclairer le soir chez soi avec une lumière proche de celle du jour. Les lumières froides retardent en effet la sécrétion de l’hormone du sommeil qui régule nos rythmes quotidiens. Par ailleurs les LED censées reproduire la lumière du jour sont souvent des dispositifs de mauvaise qualité qui émettent de la lumière blafarde. Je recommande donc d’utiliser plutôt pour la maison des LED chaudes (températures de couleur allant de 2500 à 3000 degrés) et, dans la mesure du possible, de s’imprégner de la lumière du jour au moment voulu et de manière naturelle.
En quoi la lumière peut-elle être dangereuse? On parle de LED pas si bonnes pour les yeux? Est-il dangereux de plonger son regard dans ces nouvelles lumières? Certaines lumières sont plus dangereuses que d’autres. Ce sont celles dont la composition accueille plus de lumière bleue qu’il ne faudrait. On sait en effet aujourd’hui que c’est bien le bleu qui synchronise l’horloge biologique réglant nos jours et nos nuits. Il le fait au travers de certaines cellules sensibles de notre rétine, appelées par les spécialistes cellules ganglionnaires à mélanopsine. Le soir, une exposition à trop de bleu ou à une lumière froide (riche en composantes bleues) perturbe le cycle circadien, ce cycle biologique qui contrôle le sommeil et dans une certaine mesure les performances cognitives, la mémoire et l’humeur. De même l’éblouissement par de fortes lumières riches en bleu est plus toxique pour la rétine (notamment celle des enfants) que le même éblouissement par des lumières chaudes, riches en composantes rouges.
Propos recueillis par Claire-Lise Genoud