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En Suisse, trouver un logement est plus facile pour les personnes dont le nom est à consonance helvétique. Le marché du logement est l’un des contextes les plus touchés par la discrimination, après le marché de l’emploi et les contacts avec l’administration. La discrimination ethnique en Suisse est punissable, mais s’y retrouver dans le jargon juridique n’est pas toujours aisé pour les néophytes. Alma Wiecken est responsable de la Commission fédérale contre le racisme (CFR) et expose ici les exemples de discrimination et les manières de s’en défendre. Elle rappelle que la discrimination ne s’opère pas toujours par rapport au passeport: le nom et la couleur de peau peuvent jouer un rôle dans les cas de discrimination et cela peut tout autant concerner des citoyens suisses. Dans la mesure où il n’y a pas de motif fondé, exclure certains groupes en raison de leur appartenance ethnique, raciale ou religieuse enfreint la norme pénale contre le racisme (art. 261bis CP). Les régies immobilières publiques sont en outre tenues de respecter l’interdiction de discriminer et les règles de la bonne foi inscrites dans la Constitution (art. 8, al. 2, et 5, al. 3, Cst.). Les bailleurs publics ne sont notamment pas autorisés à faire de distinction sur la base du titre de séjour d’une personne.

Bail refusé pour un motif discriminatoire

Refuser de louer un logement à une personne pour des raisons purement racistes constitue une atteinte à la personnalité et une infraction aux règles de la bonne foi (art. 28 CC et art. 2, al. 1, CC). Si un jeune Marocain et sa petite amie suissesse déposent leur dossier pour un deux-pièces et que, lorsqu’ils demandent pourquoi leur dossier n’a pas été retenu, on leur rétorque: «On a toujours des ennuis avec les gens comme vous», c’est de la discrimination. Seuls des intérêts privés prépondérants peuvent motiver un refus; c’est par exemple le cas lorsqu’une personne ne payait jamais son loyer à temps par le passé. Le bailleur a également un intérêt prépondérant à refuser la location à une personne donnée lorsque lui-même habite dans le même appartement (colocation). Le dossier de candidature pour la location d’un logement comprend en principe un formulaire. Certaines questions, ayant trait à la confession ou à la nationalité, entre autres, ne peuvent être posées que dans des cas précis (p. ex. en raison d’une disposition légale ou d’une disposition statutaire de la régie immobilière). Sinon, il n’est pas justifié de poser ces questions et d’exiger qu’on y réponde.

Discrimination au niveau du contenu du contrat de bail

Les parties sont en principe libres d’arrêter la teneur du contrat de bail. Toutefois, s’il contient une discrimination fondée sur un motif racial, une telle disposition peut être jugée illicite et entraîner la nullité (partielle) du contrat (art. 19 et 20 CO). Lorsque des contrats défavorisent certains locataires par rapport à d’autres simplement en raison de leur appartenance ethnique, de leur couleur de peau ou de leur religion, il peut y avoir atteinte à la personnalité et non-respect des règles de la bonne foi (art. 28 et 2, al. 1, CC). Un exemple typique: le locataire étranger doit fournir une caution démesurément élevée par rapport à ses voisins suisses.

Sous-location refusée pour des motifs racistes

Le locataire peut sous-louer tout ou partie de la chose louée (art. 262 CO), sachant qu’il est tenu d’obtenir le consentement écrit, oral ou tacite (a posteriori) du bailleur. Si ce dernier refuse de donner son consentement en raison de l’appartenance raciale ou ethnique, de la religion ou de l’origine nationale ou régionale du sous-locataire, ce refus n’a pas de validité juridique.

Incidents, violences et harcèlement racistes

Lorsqu’une régie, un bailleur ou un voisin manifeste du racisme (par oral, par écrit ou par des gestes), il se rend coupable d’une atteinte à la personnalité au sens de l’art. 28 CC et enfreint les règles de la bonne foi (art. 2, al. 1, CC). Parmi les infractions pénales, il est aussi possible d’invoquer les délits contre l’honneur, notamment l’injure (art. 177 CP), la diffamation (art. 173 CP) et la calomnie (art. 174 CP), ou encore d’autres délits comme la menace (art. 180 CP). Il n’y a infraction à la norme pénale contre le racisme (art. 261bis CP) ou atteinte à la liberté de croyance et des cultes (art. 261 CP) que si l’incident s’est produit publiquement (plus de deux personnes sans liens personnels). Exemple: une famille croate est constamment tourmentée par les voisins, qui la dénigrent en outre auprès du bailleur. De plus, les enfants sont victimes de propos racistes tels que «Soyez plus polis, sales Yougos». Lorsqu’en plus le bailleur n’entreprend rien contre des attaques racistes graves et réitérées par des voisins, cela constitue, au regard du droit du bail, un défaut de la chose louée. En effet, l’usage du logement conformément au contrat n’est plus donné et, dans certains cas, on ne peut plus raisonnablement attendre des personnes qu’elles continuent de résider dans le logement. A la demande du locataire, le bailleur est tenu de remédier au défaut de manière appropriée (art. 259a, al. 1, let. a, CO). S’il ne le fait pas dans un délai convenable, le locataire est en droit de résilier le contrat de bail avec effet immédiat (art. 259b, let. a, et art. 266g, CO).

Résiliation de bail discriminatoire

Lorsque la résiliation ne repose pas sur des motifs objectifs sérieux ou ne découle pas de la sauvegarde d’intérêts dignes de protection, elle contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271, al. 1, CO en lien avec l’art. 2, al. 1, CC); elle est par conséquent abusive et attaquable en justice. C’est notamment le cas lorsqu’elle a pour motif l’appartenance raciale ou ethnique, la religion, le mode de vie ou l’origine nationale ou régionale d’une personne (autrement dit une motivation raciste). Par exemple, si le nouveau propriétaire d’un immeuble résilie le bail d’un étudiant polonais et qu’on apprend par la suite que ce propriétaire a déjà eu des problèmes avec des locataires polonais par le passé. La résiliation est également abusive lorsqu’elle intervient après qu’une personne s’est défendue, de manière adéquate, contre un incident raciste impliquant le bailleur ou les voisins (résiliation de représailles visée à l’art. 271a, al. 1, let. a, CO). En pareil cas, le bailleur peut en outre être puni d’une amende (art. 325bis CP). La situation juridique est moins claire lorsqu’une régie résilie un bail pour mettre fin à un conflit raciste entre voisins. En pareil cas, il faut prendre en considération les intérêts des victimes, des voisins et de la régie, et examiner lesquels prévalent. Les règles de la bonne foi doivent en tous les cas être respectées.

Discrimination après la résiliation du bail

La situation est problématique lorsque l’ancien bailleur transmet des données sensibles à un bailleur potentiel. Communiquées par écrit ou par oral, ces dernières doivent se limiter à des informations effectivement nécessaires à la sélection d’un locataire adéquat. Les renseignements sur l’appartenance ethnique, nationale, régionale ou religieuse d’anciens locataires ne peuvent être communiqués sans leur consentement. Exemple: une régie immobilière prend des renseignements sur un locataire potentiel auprès de son ancien bailleur et ce dernier l’informe que la personne est musulmane. Le non-respect de ce principe constitue une atteinte à la personnalité au titre de la loi fédérale sur la protection des données (art. 12 en lien avec l’art. 13 LPD). Conformément à l’art. 15 LPD, les actions concernant la protection de la personnalité sont régies par les art. 28 ss CC.

Les solutions de prévention à disposition en Suisse

En matière d’interdiction de discriminations dans les relations entre particuliers, qui relève du droit privé, il y a une insécurité juridique considérable. Pour mieux prévenir la discrimination, il serait bien d’inscrire la prohibition de la discrimination dans une norme de droit privé. Etant donné que la jurisprudence dans ce domaine est soit inexistante, soit peu abondante, soit manifestement inconnue, l’inscription dans le Code civil d’une norme explicite contribuerait substantiellement à sensibiliser toutes les parties au concept de discrimination dans les rapports entre particuliers et faciliterait ainsi l’accès à la justice pour les victimes.

Comment se défendre en cas de non-attribution en raison des origines

S’il s’agit d’un bailleur privé, pour dénoncer une infraction à la norme pénale contre le racisme (art. 261bis CP) ou toute autre infraction pénale, il faut déposer une plainte pénale auprès des autorités d’instruction (la police ou le Ministère public). Après le dépôt de la plainte ou l’ouverture de la procédure d’office, l’autorité compétente se charge de réunir les premières preuves. Pour qu’une procédure ait des chances d’aboutir, il faut pouvoir produire des témoins et des preuves. Il est conseillé de réunir dès le début le plus grand nombre de preuves possibles (p. ex. correspondance, notes d’entretien, adresses de témoins). En effet, il faudra produire aux autorités concernées des moyens de preuve écrits sous forme papier (p. ex. une impression d’écran de l’annonce). Les enregistrements audio et vidéo réalisés clandestinement sont illégaux et ne constituent pas des preuves recevables! S’il s’agit au contraire d’un bailleur public, on peut aussi déposer une plainte pénale, mais il est conseillé de s’adresser en priorité à un bureau de médiation. S’il y a des délais légaux à respecter, il faut engager la procédure judiciaire ordinaire en parallèle, car le dépôt d’une plainte auprès d’un ombudsman n’a pas d’effet suspensif. La plainte peut être déposée sous forme écrite ou orale. Les bureaux de médiation examinent si l’administration a agi de manière inappropriée, prennent position et cherchent une solution satisfaisante pour les deux parties. Ils disposent de pouvoirs étendus en matière d’examen (droit de consulter le dossier, droit d’être renseigné); par contre, ils n’ont pas de compétence décisionnelle, ils ne peuvent pas infliger d’amendes ou d’autres sanctions et ils ne sont pas non plus habilités à annuler ou à modifier une décision rendue par l’administration. Cela étant, ces bureaux sont respectés par les autorités et peuvent obtenir de bons résultats. En outre, toute personne (qu’elle soit directement touchée ou non) peut procéder à une dénonciation auprès de l’autorité de surveillance si une institution est soupçonnée de racisme et entamer une action en responsabilité de l’Etat (pour les actes racistes commis par une personne ou une entité accomplissant des tâches pour le compte de l’Etat).

Légalité des annonces «douteuses»

Les régies immobilières publiques sont tenues de respecter l’interdiction de discriminer et les règles de la bonne foi inscrites dans la Constitution (art. 8, al. 2, et 5, al. 3, Cst.). Elles ne peuvent ni réserver les logements locatifs à des personnes d’une appartenance ethnique, d’un pays ou d’une région donnés, ni refuser un logement sur la base de ces critères. Elles n’ont pas non plus le droit de réserver un logement aux seuls détenteurs d’une autorisation d’établissement. Dans le cas de rapports contractuels privés: ces annonces ne sont légales que si elles se limitent de facto à la nationalité. Autrement, il pourrait s’agir d’une manière de contourner l’interdiction de discriminer, puisque la candidature de certaines personnes pourrait être rejetée en raison de leur appartenance ethnique. Les annonces faisant une distinction sur la base du titre de séjour, par exemple «candidatures de détenteurs d’autorisation d’établissement uniquement» ou «nous ne louons pas de logement à des requérants d’asile», sont généralement légales. Il n’y a par contre pas de statistiques concernant les loyers payés par les étrangers et les Suisses, on ne peut donc pas parler de discrimination financière dans ce secteur.

Eviter la ghettoïsation: que fait la Suisse?

La politique en matière d’aménagement du territoire et de logement est de la responsabilité des communes et des cantons, qui adoptent les dispositions légales et réglementaires y relatives. Plusieurs projets sont menés dans le cadre de la politique d’intégration dans divers cantons. Ceux-ci encouragent la participation des personnes migrantes à la vie sociale des quartiers et des communes. Certaines organisations privées fournissent également de l’aide dans la recherche de logement, pour ceux qui sont discriminés sur le marché libre, ou en cas de conflit.

Propos recueillis par Henriette Schaffter

24 septembre 2019
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