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Quand la maison de retraite devient l'unique solution, on voit souvent son train de vie se réduire et on ne peut même pas faire valoir ses droits en tant que locataire de sa chambre.  Est-il possible dans notre pays de contester le prix de son logement dans une résidence pour seniors en tant que locataire? Pour répondre à cette question, il faut déterminer si s'appliquent les règles du droit du bail, relatives aux loyers abusifs. Si oui, on peut s'en prévaloir pour demander une diminution des mensualités versées. Mais ce n'est pas souvent le cas. La question s'est posée à Zurich il y a trois ans et a été soumise au Tribunal fédéral (ATF 4A_113/2012). Ce dernier a considéré dans le cas concret qu'on était en présence d'un contrat «innommé», c'està- dire un contrat – parfois intitulé contrat d'hébergement – qui regroupe des aspects de divers contrats prévus par le Code des obligations (bail, mandat, vente, entreprise). Selon le Tribunal fédéral, pour savoir si le droit du bail s'applique à la question du loyer payé par le pensionnaire, encore faut-il que l'aspect «bail» soit prépondérant dans l'économie du contrat. Or, dans le cas d'espèce, tel n'était pas le cas puisque, outre la remise d'un logement, de très nombreuses prestations, qui ne relevaient pas du bail, étaient prévues: nettoyage, repas, service d'urgence 24 heures sur 24, animations, soins à la personne et assistance. Ces prestations n'étaient de loin pas accessoires. Il était également constaté que, pour la résiliation du contrat, il y avait des particularités puisque, pour peu que le pensionnaire se conforme au règlement, la résidence n'était pas légitimée à résilier le contrat. Ainsi l'économie contractuelle tendait à penser que l'aspect de soins et d'assistance était un élément essentiel du contrat et même l'élément prépondérant, plutôt que la simple remise de locaux habitables contre un loyer. Ainsi, on ne peut pas isoler les éléments relevant du contrat de bail à loyer de l'ensemble des éléments pris en compte pour forger le prix de la pension, de manière que ce dernier ne peut pas être attaqué en s'appuyant sur les règles de protection contre les loyers abusifs. En conclusion, le Tribunal fédéral a tranché un cas particulier, mais la question doit à chaque fois être regardée en fonction de l'économie contractuelle et donc de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Si de très nombreuses autres prestations que celles découlant du bail (remise de locaux habitables en échange d'un loyer) sont prévues, on conclura que les règles de protection des locataires contre les loyers abusifs ne s'appliquent pas. Témoignage: Yvette, 86 ans «Je n'ai pas eu le temps de penser budget» «Je n'ai pas hésité longtemps. Quand j'ai su qu'il y avait de la place dans cet EMS situé en pleine campagne avec la même vue sur le lac de Neuchâtel que depuis notre appartement, je n'ai pu qu'accepter.» Yvette, 86 ans, pensait dans un premier temps que seul Alfred, son mari, 93 ans, allait déménager dans cet établissement médico-social. Il venait d'être hospitalisé pour une grippe particulièrement violente et elle se rendait bien compte qu'elle n'allait plus pouvoir s'occuper de lui toute seule: «Depuis quelque temps, le plus pénible pour moi, c'était de l'habiller, et plusieurs fois par nuit je devais l'accompagner à la salle de bains. Je réalise aujourd'hui que je me suis épuisée à la tâche.» Une chambre à deux lits Lors de la visite dans cette maison de retraite en compagnie de leurs enfants, la personne qui les accueille lui demande si elle ne souhaite pas elle aussi s'y installer. «Elle m'a dit qu'il y avait une chambre à deux lits pour nous permettre d'être ensemble. Je n'avais pas pensé à une telle solution. Je reconnais que je m'ennuyais toute seule à la maison. Ma soeur avait beau me dire que la solitude ça s'apprend, les quelques jours où j'ai été séparée de mon mari, je ne me suis pas sentie bien de le savoir ailleurs et moi chez nous. Cela fait soixante-quatre ans que nous sommes mariés et nous avons toujours tout fait ensemble. » Quand elle se surprend à la nostalgie de sa vie passée, Yvette se récite un verset de la Bible qu'elle avait lu juste avant le téléphone de l'EMS: «Des oreilles entendront dire derrière toi: voici le chemin à prendre, marchez-y» (Esaïe, 30:21). Et ça l'aide à n'avoir aucun regret, même si les soirées lui paraissent parfois un peu longues. «Nous mangeons tellement tôt, à 18 h nous sommes déjà de retour dans notre chambre. Alors je dis à tout le monde de m'appeler à ce moment- là. Sinon nous allons faire une petite promenade si le temps le permet. Il y a bien des activités qui sont organisées, mais pour le moment je ne me sens pas vraiment concernée, et Alfred aime surtout dessiner. Alors je lis, je tricote, je dois encore un peu m'organiser et m'habituer à notre nouvelle vie. Nous sommes retournés plusieurs fois à notre appartement, nous y étions locataires depuis vingt-six ans, nous allons devoir le remettre pour la fin du mois. Cela nous donne un peu de temps. Les enfants vont venir nous installer encore des tableaux et quelques petites choses pour qu'on se sente toujours plus chez nous ici. Moi qui n'ai jamais aimé cuisiner, je suis bien contente de ne plus avoir à le faire et, comme les menus sont affichés, si on n'aime pas quelque chose, on nous propose autre chose. La blanchisserie est comprise dans le prix. Alors ils ont marqué tous nos habits. Rien ne me manque, c'est sûr. Il y a même un salon de coiffure. J'y suis allée l'autre jour parce qu'un de mes petits- fils se mariait et que nous étions invités à la fête. Mais ce n'est pas donné la mise en plis, je crois que la prochaine fois je me mettrai moi-même les bigoudis, quitte à me faire juste laver les cheveux. Ça me fait drôle parfois de me retrouver au milieu de ces personnes dont certaines sont assez malades, mais je n'ai aucun regret et je me considère comme privilégiée. La vie nous a tant donné. L'aspect financier? Je n'ai pas eu le temps de penser à notre budget. Tout a été si vite. L'une de mes filles s'en charge. Je crois qu'il y a une montagne de papiers à remplir, et j'imagine qu'ils vont nous prendre notre rente AVS et qu'il nous restera un peu d'argent de poche. Ça devrait nous suffire. Quand nous étions en Afrique – nous y avons vécu vingt-neuf ans – nous nous sommes habitués à faire avec ce que nous avions. Et il y a plus souvent qu'on ne le croit de jolies surprises!» Eliane, leur fille, précise qu'ils sont toujours inscrits dans la commune de leur dernier domicile pour pouvoir bénéficier des prestations complémentaires. «Mais ils n'ont plus les mêmes moyens qu'auparavant et certaines des prestations fournies par l'EMS, comme des bains spéciaux ou le coiffeur, la pédicure, ils vont devoir les payer avec ce qui leur sera attribué comme argent de poche. Tout va être calculé au plus juste pour régler une facture mensuelle qui devrait avoisiner les 8000 francs.» Bien plus que leur budget précédent! Propos recueillis par Claire-Lise Genoud Témoignage: Laurent, 58 ans «J'ai soudain réalisé que mon père n'était plus responsable de ses actes» «Bon an, mal an, j'ai réussi à maintenir des relations suivies avec mes parents. Même si j'étais très engagé dans ma vie privée et professionnelle, je parvenais à les voir régulièrement, au moins à fréquence mensuelle. Ils s'y étaient accoutumés dans la mesure où ils s'étaient toujours montrés autonomes, avaient pris l'habitude de voyager et avaient surtout su conserver un cercle d'amis et des activités dans lesquelles ils étaient engagés chacun de leur côté. Pourtant, quand ma mère a franchi le cap de ses 80 ans et mon père celui de ses 82 ans, en quelques mois je n'ai pu que constater une accumulation progressive et rapide de signes inquiétants. L'été arrivant, épuisée et fortement amaigrie, ma mère prit la décision d'aller séjourner deux semaines chez sa soeur parce que la vie avec mon père était devenue infernale. Je tombais des nues. Mais que s'était-il donc passé? Après avoir pu voir ma mère sans mon père, j'ai compris qu'il y avait un réel problème. D'autant plus que mon père ne payait plus leurs factures depuis plusieurs mois. Il s'amusait à écrire dans la marge des annotations du genre: «Je vais vous envoyer mon avocat!» Quel choc cela a été pour moi de réaliser mon impuissance à pouvoir intervenir dans la situation du couple de mes parents, avec un père plus vraiment responsable de ses actes. Une fois ma mère à l'abri chez sa soeur – elle y est restée finalement plusieurs mois – il me fallait trouver le moyen d'approcher un homme, mon père, désorienté de se retrouver seul dans son appartement, avec des comportements imprévisibles. Même ses voisins s'inquiétaient quand ils ont remarqué que la nuit toutes les lumières restaient allumées. Mon père semblait avoir perdu la notion du temps et il y avait de fortes chances qu'il ne s'alimente plus correctement. Que faire? Côté administratif, j'ai pu régler les factures impayées grâce à la procuration que m'a donnée ma mère sur leur compte en banque. Restait la question de le faire hospitaliser pour comprendre ce qui lui était arrivé. Comment faire? Comment l'approcher? Comment le convaincre que c'était pour son bien? Au hasard d'une rare conversation téléphonique qu'il me concédait, il me dit: «Je ne veux voir personne, je veux rester chez moi, mais, si quelqu'un se présente à ma porte et me donne son prénom, je veux bien lui répondre.» J'ai sauté sur l'occasion. Quelques jours plus tard, deux ambulanciers sonnaient à sa porte avec la consigne qu'ils ont scrupuleusement respectée. Miracle! Mon père a ouvert sa porte et il les a suivis sans dire un mot. Je me souviens qu'à l'hôpital il me disait: «Tu vois, même les médecins ne savent pas ce que j'ai, ils ne cessent de me demander pourquoi je suis ici?» Très vite le diagnostic a été posé. AVC. Accident vasculaire cérébral. Mon père en avait été victime plus d'un an auparavant en sortant sa voiture du garage. Il avait même tamponné une voiture à ce moment- là et, comme l'un de ses voisins était policier, une déclaration avait été faite et son permis immédiatement retiré. Blessé dans son amour-propre, mon père a cependant tout fait pour tenter de garder le contrôle et éviter des investigations médicales, qui auraient permis d'alléger bien des souffrances. La maladie a fait son oeuvre, et son état mental se détériorait de jour en jour. Après quelques semaines d'hospitalisation, il a bien fallu lui trouver un home médicalisé. Très vite il n'a plus pu ni parler ni lire. Mais il aimait tourner les pages des journaux et faire des commentaires dans un langage complètement déformé, une salade de mots qui n'avait de sens que pour lui. Qu'importe. J'ai pris l'habitude d'acquiescer, de lui donner la réplique, de faire semblant de comprendre ce qu'il m'expliquait. Il en paraissait satisfait, sans doute aussi soulagé. Il est resté deux ans dans cette institution. J'emmenais ma mère, qui avait réintégré le domicile conjugal, le voir tous les dimanches. Elle repartait en pleurs, n'arrivant pas vraiment à accepter l'état de son mari, qui avait toujours su prendre ses responsabilités et lui assurer une vie confortable sur le plan matériel. Elle se sentait perdue de le voir ainsi. C'est moi qui ai dû apporter des habits pour mon père, ma mère s'en sentait incapable. Je crois qu'elle ne pouvait pas, à ce moment- là, imaginer qu'il n'allait plus rentrer à la maison. Et puis un jour, ou plutôt une nuit, sans crier gare, mon père s'est éteint dans son sommeil. Je l'avais vu le soir d'avant, j'étais resté à ses côtés quand il mangeait son repas, avec appétit, je m'en souviens bien. Je n'avais jamais eu l'occasion de fréquenter ces maisons de retraite auparavant. Je dois dire que vivre dans un tel lieu a été bénéfique pour mon père. Homme de pouvoir, habitué au commandement, il a dû apprendre le lâcher-prise, jusque dans des tâches élémentaires, basiques. Homme avec de hautes valeurs philosophiques, c'est finalement ce lâcherprise du mental qui lui a permis de les mettre en pratique! C'est dans ce lieu neutre, forcé d'en accepter les règles, les mêmes pour tous et sans privilèges, que je l'ai vu s'adoucir, pouvoir montrer de la gratitude envers le personnel soignant, ouvrir son coeur et, en fin de compte, lâcher l'ego du mental pour aller à la rencontre de son âme. La dernière image que j'ai de lui est celle d'un homme tendre, qui s'est lové contre mon épaule, assis sur le sofa de la salle à manger toute simple de cette maison de retraite. Finalement ce court passage en maison de retraite n'a pas posé de problème majeur d'un point de vue financier au couple de mes parents. Ma mère a pu rester dans son appartement, où elle vit toujours. Les assurances ont payé une bonne partie des frais médicaux liés à l'EMS. Que ce serait-il passé si mon père avait dû y effectuer un séjour de longue durée? La question reste posée.»  Propos recueillis par Claire-Lise Genoud
29 mai 2015
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