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«On vous donne du béton, mais l’accès aux briques doit rester limité»: voici, imagée, la décision prise par le Conseil national en fin d’année 2018.

Pour construire les maisons, il faut deux choses. Des briques et du béton. Si les briques viennent à manquer ou le béton à se tarir, le chantier s’arrête. Plus de maisons. Il en va de même avec la production de logements d’utilité publique. Pour produire de tels logements, échappant à la loi du marché et du profit et proposant des loyers abordables, il faut des terrains (les briques) et un financement avantageux (le béton). Si l’un des deux éléments fait défaut, pratiquement plus aucun logement d’utilité publique ne sort de terre.

Un instrument nécessaire: le droit de préemption

Il est difficile pour les coopératives et les autres maîtres d’ouvrage de logements d’utilité publique de mettre la main sur des terrains en vente. Notre initiative populaire «Davantage de logements abordables», en plus d’un objectif de 10% de logements nouveaux en logements d’utilité publique, vise justement à doter les cantons et les communes d’un instrument juridique permettant d’accéder à ces terrains, sans distorsion du prix du marché, pour y construire des logements abordables ou les remettre dans le même but en droit de superficie à des coopératives. Cet instrument, c’est le droit de préemption. Avec l’inscription du droit de préemption dans la Constitution fédérale, comme cela existe déjà dans la Constitution ou dans la loi de certains cantons, toutes les communes et tous les cantons qui le souhaitent pourraient acquérir prioritairement, mais toujours au prix du marché, les terrains vendus par la Confédération ou par des entreprises publiques comme les CFF, La Poste, etc. Selon notre initiative, les communes et les cantons qui le veulent peuvent même étendre ce droit à tout type de terrain constructible. Un accès facilité aux briques évoquées ci-dessus. La majorité du Conseil national a refusé.

Le fonds de roulement réapprovisionné, mais à une condition

Du côté du financement, la Confédération dispose d’un instrument efficace, le Fonds de roulement en faveur du logement d’utilité publique. Il permet d’accorder des prêts à un tarif avantageux aux coopératives et autres acteurs qui construisent des logements d’utilité publique. C’est un peu la bétonnière qui – selon les besoins – fournit le béton nécessaire à la construction de la maison. Mais, lorsque la bétonnière est à sec, plus de béton et plus de construction. C’est la situation actuellement du fonds de roulement. Il est à sec. Le Conseil fédéral et le Conseil national ont donc proposé, à titre de contreprojet indirect, une promesse de réalimentation de ce fonds de 250 millions de francs étalés sur dix ans soit en moyenne 25 millions de francs par an. Un minimum que les élus proches des coopératives et des locataires ont tenté de porter sans succès à
375 millions de francs. Il s’agit au surplus d’une promesse car pendant dix ans, le Parlement devra chaque année donner son accord au décaissement d’un montant dans le cadre du budget annuel.
La majorité du Conseil national, soumise aux intérêts des milieux immobiliers, a ajouté une condition à cette promesse de refinancement du Fonds de roulement: le retrait de l’initiative par ses déposants ou son rejet par le peuple! C’est comme si pour construire la maison l’on disait: «Je te promets du béton à la condition que tu renonces à l’accès facilité aux briques». Une absurdité!


Chantage aux citoyens

Cette manière de faire est l’expression d’un dédain envers tous les locataires au budget lourdement grevé par les loyers élevés et qui ne trouvent pas de logement abordable.
Du point de vue des droits politiques, c’est un chantage incroyable. Il vise à placer les citoyennes et citoyens devant un choix inacceptable: ou bien la promesse de quelques millions de francs annuels pour le logement d’utilité publique ou bien une politique de promotion soutenue des logements d’utilité publique ancrée dans la Constitution, mais sans argent.
Un comportement de flibustier des institutions démocratiques jamais vu que l’ancien conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann, le sourire en coin, a qualifié, lors de sa toute dernière intervention devant le Parlement, de «pression de l’épaule» pour imposer la vision du Conseil fédéral. Une manière totalement déloyale d’organiser le débat autour de l’initiative populaire qui fait peur à la droite libérale et aux milieux immobiliers. Au moment d’écrire ces lignes, il y a encore l’espoir que le Conseil des Etats et sa Commission des affaires juridiques reviennent sur ce chantage institutionnel et politique. Ce serait la moindre des choses, au moment où la majorité des élus fédéraux exige que les questions soumises aux citoyennes et citoyens par initiative populaire soient formulées clairement et sans chausse-trappe.

Carlo Sommaruga
Président de l'ASLOCA Suisse

22 janvier 2019
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