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Les perroquets colorés de sa chemise annoncent tout de suite la couleur. Raymond Morerod, 74 ans, est rentré des Antilles il y a trois semaines. Il y passe les mois d’hiver depuis la fin de 2002. «C’était mon rêve. Je suis tombé dans le monde des bateaux lorsque j’étais adolescent. J’ai fait un apprentissage de mécanicien du côté de Villeneuve, où j’ai grandi, mais, une fois marié, je suis venu m’installer à Morges.»
Réaliser son rêve
Son chantier naval, il l’a ouvert à 31 ans. «A l’époque, il y avait du travail, j’ai eu jusqu’à trois employés. Mais, en 1997, les banques ont commencé à me faire des histoires, j’étais soudain devenu une entreprise à risque et les taux des hypothèques que j’avais contractées pour acheter les bâtiments de mon chantier naval ont pris l’ascenseur. Je voyais bien que je n’allais plus m’en sortir. Alors j’ai décidé de préparer mon voilier pour la mer, j’ai tout vendu et j’ai mis les voiles du côté des Antilles.» Il est parti tout seul. Étonnamment aucune des trois femmes qu’il a épousées n’a jamais voulu le suivre en mer. Là-bas il a fait des rencontres, mais il ne s’y est jamais vraiment installé.
Bien sûr il fait chaud et c’est très agréable lorsque l’on vit sur un bateau, mais les contacts se font surtout avec les autres navigateurs. Il pouvait rester jusqu’à un mois sur son voilier sans voir personne. Alors petit à petit il est rentré plus longtemps en Suisse. Et, en 2013, un petit héritage lui a donné la possibilité de construire son bateau, celui qu’il a pu amarrer au port de Morges, où il possède une place depuis quarante ans. «C’est un bateaucaravane », reconnaît-il bien volontiers. «Vu de l’extérieur, il n’est pas beau, mais j’ai plus de 30 m2 de surface habitable, c’est un joli studio.»
720 litres d’eau à bord
Le gros problème quand on vit sur un bateau en Suisse, c’est surtout l’eau. Impossible de déverser la moindre goutte par-dessus bord, c’est interdit. Son réservoir d’eaux usées fait 720 litres. Il lui permet de vivre durant trois semaines, puis il faut aller le vider. «Si je réussis à vendre mon voilier aux Antilles, que j’ai été obligé de sortir de l’eau et qui me coûte 450 francs par mois, je reste vivre ici. Je ressens moins l’envie de naviguer, même sur le Léman. Mais il va falloir que je trouve une autre pompe pour vider mes eaux parce que celle du nouveau port de Morges ferme de novembre à mars. Sinon j’ai aussi dû ajouter deux réservoirs pour le mazout de mon chauffage. Ce n’est pas que j’en avais vraiment besoin, je consomme pas tellement, mais les fournisseurs ne livrent pas à moins de 500 litres et mon premier réservoir ne faisait que 260 litres. Maintenant je suis prêt.»
Raymond Morerod est très fier de la qualité de vie que lui apporte son bateau, «en été, je suis comme sur une terrasse, je regarde passer les gens. J’ai même pu installer dans la cabine qui est ma chambre à coucher une commode à tiroirs que j’avais réalisée à l’époque pour ma mère.»
Vivre dans sa caravane flottante ne lui revient pas cher. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il a opté pour ce genre de logement. «Je paie 100 francs par mois à la commune pour la place d’amarrage. Avec ma petite AVS, je ne pourrais pas me permettre beaucoup plus. Je dois aussi toujours penser aux 1500 francs que me coûte l’avion pour les Antilles. De toute façon, il y a toujours quelque chose à faire sur un bateau. J’ai cousu moi-même tous les coussins des sièges. Ma fille m’a prêté sa machine à coudre.» Las de la vie au long cours, Raymond Morerod espère obtenir les prestations complémentaires. «Il semble que je pourrais alors obtenir un logement durant les mois d’hiver. Parfois il m’arrive de songer aussi à aller vivre dans un EMS.» Tout simplement.