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L'ampleur de la location de logements hôteliers s'approprie une part grandissante du marché immobilier. Dans l'intérêt des populations locales, il faut agir.
«Louez des logements uniques auprès d'hôtes locaux dans plus de 190 pays», «Ouvrez la porte à un voyageur et à une nouvelle vie», «Gagnez de l'argent en accueillant des voyageurs».
Par quelques slogans percutants sur la page d'accueil du site Airbnb le ton est donné: séduire les voyageurs de la génération Easyjet qui bougent frénétiquement à bas prix et ceux qui rêvent d'argent facile. C'est payant de leur proposer de sortir de la froideur standard des chambres d'hôtel deux ou trois étoiles pour leur offrir la chaleur accueillante d'un chez-soi de l'autre coté de la planète ou dans le plus perdu des villages en chatouillant au passage leur côté aventurier par la découverte de logements originaux et la mise en contact avec des autochtones… logeurs.
Mais Airbnb tente de faire passer ses usagers de l'autre côté du miroir en les amenant à proposer leur propre logement à la location hôtelière, qu'ils soient d'ailleurs locataires ou propriétaires, et réaliser ainsi de l'argent facile hors des formalités administratives et fiscales locales.
Qui n'a pas encore cédé à la tentation Airbnb ou à celle d'une autre plate-forme d'économie de partage dans le secteur immobilier pour améliorer le rapport qualité-prix de son voyage?
Des millions de voyageurs sont sans doute prêts à remplacer l'hôtel par un petit logement bien placé au mobilier design situé au coeur de la ville à découvrir en quarante-huit heures. La tendance semble irrésistible et probablement irréversible. Le marché du logement hôtelier est en plein bouleversement.
Prétendue redistribution
L'idée qu'Airbnb favorise la démocratisation et la redistribution de la rente foncière loin de la bureaucratie par l'obtention d'argent facile réalisé par la location hôtelière à court terme de son logement fait son chemin. Cette vision idyllique, reflet d'une société individualisée où tout peut être source d'argent, est d'ailleurs colportée par les médias, même ceux du service public.
Mais derrière le phénomène Airbnb, on assiste à une puissante réallocation des ressources. Une part croissante du parc immobilier d'un territoire donné destiné à la location à long terme en faveur de la population locale est transférée vers un marché immobilier globalisé et déterritorialisé destiné à la consommation de loisirs ou à la caste des expats en mission.
Cette réaffectation du parc immobilier est insidieuse car invisible, contrairement à la transformation luxueuse d'un immeuble. Elle est diffuse dès lors qu'elle ne repose pas sur une décision politique sujette à débat, mais sur l'accumulation de milliers de décisions individuelles dans un no man's land juridique. Elle est importante dès lors qu'elle touche des milliers de logements dans les agglomérations, tout particulièrement celles desservies le week-end par les compagnies aériennes low-cost ou celles abritant des événements à résonance internationale tels qu'ArtBasel, la Street Parade, réunions d'experts, etc. Elle est perfide, car, derrière le rêve du voyage cosy et de l'argent facile, il y a une puissante pompe à fric qui transfert des millions de dollars de commission, prélevés sur tous les marchés immobiliers, pour les concentrer en mains d'une petite élite aux Etats-Unis sans aucune fiscalisation locale.
Siphonage du marché
L'ampleur du siphonage du marché immobilier local par Airbnb and Co. a déjà mobilisé les autorités des grandes villes. Berlin, Paris, San Francisco, New York... Des durées minimales de location d'une semaine ou d'un mois ont été introduites.
Ailleurs, pour limiter l'offre à la location partielle du logement, c'est le logeur qui est tenu de résider simultanément dans le logement. Mais c'est insuffisant. De grandes villes passent au contrôle des offres avec de lourdes amendes comme à New York, où elles peuvent atteindre 50 000 dollars.
Mouvements de protestation
Des mouvements citoyens voient le jour en raison des conséquences sociales provoquées par Airbnb. Des Etats- Unis, ils essaiment en Europe et ailleurs.
Dans la région genevoise il y a environ 1000 logements inscrits sur cette plate-forme. Cela représente environ 40 immeubles de 25 logements sortis du marché local. Compenser ces logements par la construction de nouveaux logements coûte des millions de francs aux pouvoirs publics et aux locataires, qui vivent dans un marché déjà très tendu. En Suisse aussi, il est temps de réagir.
Carlo Sommaruga, Secrétaire général, Asloca Romande