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Employée à Genève, Julia a accepté de raconter de manière anonyme comment elle a vécu une cohabitation non consentie avec des punaises de lit. Témoignage.
«Tout a commencé à la fin du mois de juillet 2016, juste avant mon départ en vacances. En arrivant chez moi un soir, j’ai trouvé une note sur ma porte m’indiquant qu’une société chargée de détecter les punaises voulait venir faire un contrôle car un cas leur avait été signalé dans mon immeuble. Je n’ai pas hésité à les rappeler, autant en avoir le coeur net.
Ils ont passé quelques jours plus tard avec une jeune chienne. «Marian», elle s’appelait. L’homme qui l’accompagnait ne cessait de lui dire: «Search, Marian, search.» Elle était mignonne, cette chienne, j’ai eu envie de la caresser mais on m’a demandé de ne pas le faire pour éviter qu’elle ne s’arrête de travailler. On m’a expliqué que, dès qu’elle sent l’odeur d’une punaise, elle s’assied. Chez moi ce jour-là elle ne s’est jamais assise. Ah, je me sentais bien, j’allais pouvoir partir à la montagne comme prévu. Aucune punaise. Il n’y avait aucune punaise chez moi. Quel soulagement!
Des traces de sang sur les draps de mon lit
A mon retour une semaine plus tard, je n’ai rien remarqué de spécial, mais je me souviens d’avoir passé une très mauvaise nuit. Tout mon corps me démangeait. Je ne cessais de bouger. Tôt le matin je décide de me lever, je m’assieds dans mon lit et là ça a été l’horreur: il y avait du sang sur mes draps. Des traces de sang partout, surtout au niveau de mes jambes. J’ai immédiatement compris qu’il se passait quelque chose qui ne venait pas de moi. J’ai bondi hors de mon lit et j’ai soulevé le dessous de mon matelas… J’ai cru mourir. Il y en avait partout. Je n’avais jamais vu de punaises de lit, mais je les ai instantanément reconnues.
Les punaises de lit sont minuscules, quelques millimètres de long, certaines un peu plus ovales, d’autres un peu allongées. Gorgées de sang, elles sont presque noires, sinon d’une couleur proche du brun clair. Un instant figées, elles ont repris leur marche comme si de rien n’était. J’étais ébahie, je me souviens que, dans un geste de panique, j’ai arraché le tapis sous mon matelas pour le jeter dans la baignoire et j’ai ouvert l’eau jusqu’à ce qu’elle devienne bouillante. Toutes ces punaises qui mouraient… J’ai su par la suite qu’une fois rassasiée de notre sang, elles ont l’habitude de redescendre de nos lits avant que l’on se réveille. Ce matin-là je m’étais levée trop tôt, j’avais dû les surprendre.
Confusion intense
A partir de ce moment-là, tout s’est passé dans une sorte de confusion intense. Encore aujourd’hui, quatre mois plus tard, je dois me référer à mon agenda pour me souvenir de la chronologie des événements. Ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas restée inactive. Je me suis battue et aussi débattue avec moi-même pour retrouver du calme et ne pas me laisser envahir émotionnellement. Je ne cessais de me rappeler que le maître de la chienne «Marian» m’avait raconté que les hommes acceptent plus facilement que les femmes de se faire piquer par des bestioles durant leur sommeil. J’essayais de rationaliser la situation du mieux que je pouvais, mais ce n’était pas évident.
Informer la régie
Mon premier réf lexe a été d’informer ma régie, qui a contacté la société de détection. Trois jours plus tard, la jolie chienne «Marian» était à nouveau devant ma porte avec son maître. Le verdict est tombé vite, elle s’asseyait tout le temps: invasion totale. J’étais envahie de punaises.
En repartant l’homme avec sa chienne m’a laissé le prospectus d’une entreprise qui congèle nos affaires pour tuer les oeufs des punaises. Je me vois encore complètement effondrée avec ce papier à la main. Que faire? Mettre au congélateur tout mon appartement, mais cela allait me coûter une fortune! A ce moment- là je ne savais pas encore que la régie allait prendre en charge cette opération. J’étais juste anéantie et démoralisée. En plus il fallait faire vite, dans les trois jours paraît-il, pour éviter que les punaises ne prennent trop leurs habitudes avec moi. J’étais devenue leur garde-manger. Ces petites bêtes ne se nourrissent que du sang des humains et elles avaient décidé de me sucer le sang à vie. Ah, quelle angoisse! J’en frissonne encore.
Eradiquer cette invasion
Dès les premiers jours j’ai tout tenté pour éradiquer cette invasion, notamment en lavant à 60 degrés tout ce qui entrait dans la machine à laver. Même mon oreiller en mousse à mémoire de forme y est passé. Il a survécu, il est un peu cabossé, mais il est toujours là.
A un moment donné j’ai eu l’idée de mettre tout mon appartement dans un garde-meuble et d’attendre que les punaises meurent affamées, mais j’ai alors appris qu’elles pouvaient rester un an sans manger! J’en trouvais partout, même en ouvrant un livre dans une de mes bibliothèques. Elles sont minuscules, elles s’enfilent dans le moindre espace. Tu ne les vois pas, mais elles sont là. Elles sont très douées pour se cacher. Parfois elles laissent de minuscules taches rouges sur leur passage, on peut les suivre à la trace.
J’ai aussi appris qu’elles pondent des oeufs tout le temps. Franchement j’ai vécu un cauchemar durant plusieurs semaines. J’étais obsédée par ces bestioles. Je voulais les détruire, leur faire la peau, c’était elles ou moi. Jamais je n’ai autant fait le ménage. J’ai surélevé mon lit, emballé mon matelas dans des sacs-poubelle. J’ai fait aspergé deux fois des produits chimiques. J’ai colmaté au mastic toutes les plinthes, les espaces au-dessus des caissons des stores, le long de la baignoire, autour des tuyaux d’écoulement. J’étais sur le quivive dès que je mettais les pieds à la maison. Je m’épuisais.
Changer d’attitude
Le jour où j’ai entendu parler d’une personne qui communique avec les animaux, y compris avec les punaises, je n’ai pas hésité une seconde. Au point où j’en étais. La séance a été fort intéressante. Quand cette femme m’a dit que ces insectes étaient venues s’installer chez moi parce que j’étais une véritable arche de Noé et qu’elles pensaient qu’elles allaient être sauvées, ça m’a tellement fait rire que j’ai enfin pu commencer à me détendre. J’avais été une véritable «serial killer» avec elles, rien à voir avec l’accueil d’une arche de Noé.
Un processus s’est alors enclenché en moi et j’ai pu changer d’attitude à leur égard. Elles n’étaient plus mon ennemi numéro un à abattre. Je crois que j’ai commencé par les accepter chez moi et j’ai cessé de me prendre la tête. J’ai pu entendre que les punaises n’étaient pas dangereuses pour moi, qu’elles n’allaient pas me transmettre des maladies, que j’avais de la chance de ne pas être allergique à leurs piqûres, ce qui n’a pas été le cas d’une collègue qui avait des boursouflures particulièrement douloureuses. J’ai pu apprécié le fait que je n’en avais jamais trouvé dans la cuisine ni sur les plantes. Peu à peu, j’ai ralenti la traque. J’ai pu recommencer à respirer normalement en étant chez moi. J’ai même réussi à accepter l’idée de me faire piquer durant mon sommeil.
Prédateurs des punaises
Un jour je me suis mise à rechercher les prédateurs des punaises. Il y en a deux à ma connaissance: les mouches – pas question de les faire entrer chez moi et les oiseaux... Je n’allais tout de même pas attirer des oiseaux dans mon appartement! J’ai alors eu l’idée de faire illusion en diffusant des chants d’oiseaux que j’aimais bien trouvés sur Internet. Cela m’a fait du bien. J’ai également découvert un mélange d’huiles essentielles qui a la caractéristique de perturber l’odorat des punaises et de les empêcher de trouver le corps des humains. Très vite les effets se sont fait sentir. J’ai pu m’apaiser, devenir constructive, j’avais des solutions positives et j’ai retrouvé de la sérénité.
Oui à la congélation
A tête reposée, j’ai tout de même choisi de faire congeler toutes mes affaires. Je n’en aurais peut-être pas eu besoin, mais ça m’a rassurée de savoir qu’il n’y aurait plus d’oeufs nulle part. Finalement j’en arrive presque à remercier ces punaises. Elles m’ont obligée à mettre de l’ordre dans mes affaires et puis surtout elles m’ont incitée à prendre une décision importante: quitter la ville. Je m’en vais. Il est temps. L e fin mot de cette histoire est bien là. Cela faisait longtemps que je pensais changer de vie, les punaises m’en ont donné l’occasion.