Les milieux immobiliers et leurs relais parlementaires ne veulent pas de notre initiative «Davantage de logements abordables». Cela s’est encore confirmé avec la récente décision de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats. Mais pour quelle raison, au fait, combattent-ils cette initiative frappée au coin du bon sens?
Lors du lancement de l’initiative en septembre 2015, alors que la pénurie de logements était présente partout en Suisse, ces milieux la critiquaient au motif qu’elle visait une étatisation du sol. Une absurdité. En effet, notre initiative ne demande pas la nationalisation du sol. Notre exigence, c’est que seulement 10% des nouveaux logements soient en mains de maîtres d’ouvrage d’utilité publique, c’est-à-dire essentiellement des coopératives d’habitation. Or tout le monde sait que les coopératives sont des acteurs économiques distincts des communes, des cantons et de la Confédération. Au surplus, une réserve de 10% des nouveaux logements aux coopératives, laissant les 90% en mains des privés, n’aboutit mathématiquement jamais à une étatisation de l’immobilier en Suisse. Cet argument a donc vite été mis sous le tapis et oublié.En décembre 2018, le Conseil national, par 143 voix contre 54, a recommandé le refus de l’initiative populaire sans contre-projet. La majorité, composée des élus PDC, PLR et UDC, a notamment prétendu que doubler la production de logements d’utilité publique de 5% à 10% comme le veut l’initiative requerrait, d’une part, d’énormes moyens financiers et, d’autre part, que les moyens financiers faisaient défaut. Mais les deux arguments financiers sont faux. En effet, les coopératives d’habitation et les institutions publiques, avec leurs loyers fondés sur les coûts et non en fonction du marché, proposent à terme des loyers nettement moins élevés que ceux offerts sur le marché par les opérateurs privés. Or le loyer est un poste important (jusqu’à 30%) des ménages ayant un faible revenu. Pour les pouvoirs publics, des loyers abordables réduisent donc passablement le coût de l’aide sociale et la charge des prestations complémentaires AVS et AI. L’investissement dans le logement d’utilité publique est donc, pour l’avenir, une source d’importantes économies budgétaires tant au niveau fédéral que cantonal et communal. Par ailleurs, prétendre qu’il n’y aurait pas de moyens financiers, c’est prendre les citoyennes et les citoyens pour des imbéciles. En effet, il y a deux semaines, le Conseil fédéral annonçait un boni de 2,9 milliards de francs. Depuis l’année 2000, les comptes de la Confédération ont généré 35 milliards de francs d’excédent. Il y a donc manifestement les moyens de financement nécessaires à une augmentation du nombre de logements abordables. C’est une question de volonté politique.
Maintenant, le HEV et la FRI, les lobbies immobiliers de Suisse alémanique et de Suisse romande, déclarent qu’en raison de l’accroissement du nombre de logements vacants, il n’y a plus de nécessité de logements d’utilité publique, puisque les loyers baissent. Cet argument n’est vraiment pas recevable. Il est même faux. D’une part, le nombre de logements abordables disponibles sur le marché, surtout là où vit la majorité de la population, reste extrêmement faible. D’autre part, même là où il y a des logements vides, les loyers ne baissent pas. On en veut pour preuve ce qui se passe à Sierre et à Sion où, malgré des vacances incroyables de 12% et de 8%, les loyers ne se sont pas effondrés.
Quelle que soit la situation du marché, notre initiative est nécessaire. En effet, elle vise à sortir définitivement des logements des griffes de la spéculation. Notre combat est donc un combat de principe contre la spéculation et pour sortir un peu le logement des affres du marché. Ce combat, la population suisse le comprend facilement. A nous de porter le message partout et de gagner la bataille dans les urnes!
Carlo Sommaruga
Président de l'ASLOCA Suisse