La scène était particulière ce 12 décembre 2018 au Conseil national. L’on se serait cru à l’ouverture d’un séminaire des milieux immobiliers. Les deux rapporteurs de la Commission de l’économie et des redevances (CER-N) chargés de la présentation de l’initiative de l’ASLOCA «Davantage de logements abordables» et de la proposition de rejet de la majorité de la commission n’étaient autres que les responsables des organisations faîtières des associations immobilières de Suisse romande et de Suisse alémanique: MM. Olivier Feller, secrétaire général de la Fédération romande immobilière (PLR/VD), et Hans Egloff (UDC/ZH), président de la Hauseigentümerverband, l’association des propriétaires alémaniques.
Une captation de la fonction de rapporteur dans l’intérêt particulier des milieux immobiliers, bien loin de l’intérêt du plus grand nombre que devrait défendre un élu fédéral. Une confiscation du débat politique par les professionnels du lobby immobilier lui-même. C’est donc à juste titre que la conseillère Ada Marra (PS/VD) a interpellé les rapporteurs pour qu’ils dévoilent le montant des revenus perçus dans leur fonction au sein du lobby immobilier pour mener leur combat au Parlement. L’un et l’autre ont esquivé la question. Répondre aurait montré l’indécence de la situation aussi sous l’angle financier.
Cette scène parlementaire illustre l’absence de toute pudeur de la majorité politique actuelle. Pour elle c’est normal de laisser les élus des divers groupes d’intérêts économiques, comme celui de l’économie immobilière, prendre les rênes du Parlement au moment de discuter d’un objet touchant aux intérêts du secteur économique concerné et surtout aux intérêts des membres de leur propre organisation.
La majorité actuelle ne fait aucun mystère des politiques défendues. Tout au marché et au profit, aussi en matière de logement et de bail. Aucune considération pour l’important besoin de logements abordables des classes moyennes et populaires. Claire volonté de remettre en cause les instruments du droit du bail destinés à combattre les loyers abusifs.
Cette situation n’est pas inéluctable. Nous l’avons déjà dit ici. Le secret, c’est la mobilisation et la participation aux scrutins et aux élections afin de changer le rapport de force.
Pour que la politique fédérale en matière immobilière change, nous devons obtenir le meilleur résultat possible lors du vote populaire sur notre initiative fédérale. C’est effectivement à l’aune du résultat des urnes que nous pourrons assister ou non à la naissance d’une véritable politique fédérale en faveur du logement d’utilité publique et des coopératives d’habitation.
La bataille ne sera pas facile car tout est fait pour casser l’élan populaire autour de notre initiative. D’abord, un chantage politique inadmissible destiné à déstabiliser notre électorat. La promesse de la continuation du financement du logement d’utilité publique par le biais du fonds de roulement n’est maintenue que s’il y a retrait ou rejet de l’initiative «Davantage de logements abordables». Ensuite, le calendrier. Alors que le traitement de l’initiative devait légalement se terminer en avril 2019, imposant de fait le logement comme thème de la campagne électorale, la majorité politique actuelle ralentit les travaux pour renvoyer le vote populaire après les élections fédérales.
Mais la meilleure arme pour changer la donne, c’est de renforcer les forces politiques qui défendent les locataires et de promouvoir l’élection au Parlement d’un maximum de femmes et d’hommes issus des rangs de l’ASLOCA lors des élections fédérales d’octobre de cette année.
Le moment venu, nous reviendrons sur ce que chacune et chacun peut faire pour que les locataires soient mieux entendus à Berne et que l’emprise des milieux immobiliers soit desserrée.
Carlo Sommaruga
Président de l'ASLOCA Suisse