La pandémie du coronavirus s’est abattue sur la Suisse. Comme une nuée de sauterelles invisibles s’en prenant aux êtres humains. Après la grippe de Hong Kong en 1968-1970 avec des dizaines de milliers de morts à travers le monde et l’épidémie du SRAS en 2003-2004, d’aucuns avaient alerté les autorités contre la menace bien plus concrète pour la population qu’une attaque venue du ciel d’on ne sait où et de qui! Lorsque la pandémie quittait la lointaine Chine pour arriver en Europe et en Suisse, elle progressait bien plus rapidement et plus intensément que les autorités politiques ne l’imaginaient. Il s’est imposé rapidement que des mesures urgentes destinées à limiter la propagation de l’épidémie en Suisse devaient être adoptées. Des mesures destinées d’une part à informer sur les comportements barrière pour réduire les risques de contamination, d’autre part à éviter la saturation des services des soins intensifs des hôpitaux et enfin à gagner du temps pour disposer d’une médication sûre et efficace protégeant de la mort les plus vulnérables d’entre nous.
Catastrophe pour les commerçants
Dans ce contexte, le Conseil fédéral a clos avec effet au 17 mars tous les commerces et les établissements publics à quelques exceptions près comme les distributeurs d’alimentation, les pharmacies, les drogueries et les kiosques. Pour les commerçants touchés par ces mesures, c’est la catastrophe! Plus d’activité, plus de chiffre d’affaires, mais des charges qui sont là: salaires, loyer, cotisations sociales et impôts. Le Conseil fédéral s’est empressé d’adopter des mesures urgentes pour assurer le revenu et le pouvoir d’achat des salariés, indépendants et chômeurs. Les administrations fédérales et cantonales ont accordé des sursis ou des délais de paiement pour les charges sociales et les impôts. Mais, pour la question du paiement des loyers, rien!
Il aura fallu attendre le 27 mars pour que le Conseil fédéral aborde la problématique des locataires. Il s’est limité à prolonger le délai de paiement en cas de mise en demeure pour retard de paiement et à le faire passer de 30 à 90 jours avant résiliation du bail. La belle affaire! Comme si les locataires de logements ou de locaux commerciaux allaient pouvoir rattraper le retard de loyer en trois mois avec la chute brutale de leur revenu! Un nouveau mépris grossier des locataires de la part du Conseil fédéral.
Une approche juste et équitable
Cette première mesure n’est pas de bon augure pour celle bien plus importante de la libération du paiement du loyer pendant la période de fermeture obligatoire des commerces que les milieux immobiliers combattent vent debout publiquement comme dans la Task Force mise sur pied par le conseiller fédéral, Guy Parmelin, afin d’assurer leurs surprofits. Comme le disait récemment l’éminent spécialiste du droit du bail David Lachat, «dans le cas du loyer des commerçants empêchés d’exploiter leur commerce et de gagner leur vie, en raison de l’ordonnance 2 COVID-19, un résultat juste est celui qui ne fait pas porter toute la charge par le locataire et qui ne permet pas au bailleur de s’en sortir comme s’il n’y avait pas eu de coronavirus». L’équité commande que le locataire assume ses pertes commerciales et le bailleur ses pertes locatives. C’est cette répartition du fardeau du coronavirus entre locataire et bailleur que défend l’ASLOCA Suisse, notamment dans le cadre de la Task Force. Cette approche fondée sur la justice et l’équité est tout à fait conforme à la systématique des art. 259d et 259e CO. Comme le résume toujours David Lachat: «Le bailleur supporte l’exonération ou la réduction du loyer (responsabilité causale) et le locataire ne peut pas prétendre à des dommages-intérêts (responsabilité fautive)».
Trois options
A ce stade il y a trois voies possibles. Soit le Conseil fédéral tranche en équité et justice et se substitue aux juges avec une mesure urgente qui s’applique à tous baux commerciaux touchés par les fermetures totales ou partielles. Soit les autorités de conciliation et judiciaires sont submergées par un tsunami de requêtes déposées par les locataires et nous connaîtrons la décision du Tribunal fédéral dans trois ans. Soit les locataires, pris par l’urgence financière et la menace de résiliation du bail, se feront piéger par les bailleurs dans le cadre d’accords bilatéraux portant atteinte à leurs droits.
Il serait indigne de notre pays en cette période de crise où tout le monde appelle à la solidarité de laisser les bailleurs continuer à encaisser les loyers comme si de rien n’était alors que les locataires perdent leur revenu, s’endettent ou même tombent en faillite.
Que le Conseil fédéral fasse preuve de justice et d’équité à l’égard des locataires commerciaux!
Carlo Sommaruga
Président ASLOCA Suisse